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Séjour / Stage à Cape Town
8 juillet 2014

No one is free when others are oppressed!

 

Je ne voulais pas partir en stage dans un pays dit « des Suds », parce que j'avais peur de ces rapports de domination, que je n'ai pas toujours su gérer cette année-là en Géorgie. Parce qu'on ne peut pas changer des choses établies dans les mentalités depuis des années, en peu de temps. Je ne voulais pas partir en Afrique, ne pas être la blanche privilégiée, celle qui représente les pays anciennement (et actuellement néo-) colonisateurs ; celle qui est sensée être riche, celle qui est dominante.

 

Et puis, j'ai décidé de me faire confiance ; que les idées et valeurs anarchistes auxquelles je tiens et j'aspire - d'horizontalité, d'égalité, de conscientisation des rapports d'oppression, de domination - allaient quelque part me protéger de tout ca.

 

En fait, je réalise que je m'y suis mal pris dès le départ. J'ai pas su communiquer avec les locaux-ales sur mes questionnements, peurs, etc. Je me suis enfermée, pour ne pas fréquenter des mondes qui représentaient ce que je cherchais à fuir. Je me « la suis jouée perso », depuis le départ. Et finalement, cette histoire de maison brûlée m'a obligé à y faire face. Et c'est maintenant que je réalise que j'ai incarné quelque part des faits et ressentis contre lesquels je lutte. Spontanément, émotionnellement, j'ai réagi, publiant cet appel de solidarité sur facebook, partant là-bas pour nettoyer les restes. Des copains m'ont renvoyé dans la gueule que c'est comme si « je cherchais à prendre le contrôle ». Au départ, je m'en suis défendue, puis j'ai capté.

 

Yeap, j'en ai discuté avec Mawethu, mais juste à deux, oui j'ai rien fait sans son accord, mais je me suis autorisée à croire que j'avais les solutions. Et oui, j'ai apporté, si ce n'est imposé, quelque part, ma manière de voir et faire les choses, à l’Européenne ou pas, en tout cas perso. En fait, j'avais l'impression que tout le monde s'en foutait de ce qui se passait pour lui, mais je ne voyais que ce que je peux et veux voir. SOS est un groupe d'activistes culturels comme illes s'appellent eux et elles-même. Une bande de copains et copines noir-e-s, en non mixité, qui font du hip-hop politique. A leur réunion, illes ont discuté collectivement des démarches à effectuer, avec Mawethu, avant de se lancer dans l'action..... Évitant une logique d'efficacité que je condamne, mais dans laquelle je suis rentrée à 200 %, portée par mes émotions.

 

C'est « drôle » quelque part cette claque que je me prend, qui arrive maintenant, à 15 jours du départ... Une belle leçon politique et humaine. Leçon d'humilité. Politiser ses émotions. Privilégier la réflexion collective avant l'action. Et puis savoir s'effacer, comprendre qu'on n'est pas la clé, qu'on fait parti d'un tout, dans l'Ubuntu... Prendre confiance en soi pour mieux lâcher prise...

 

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Et ces questionnements sur mes propres privilèges. J'ai été dominante à réclamer de pouvoir rejoindre ce groupe noir non-mixte, j'avais même pas réalisée. Moi qui suis si violente avec les hommes qui ne comprennent pas la nécessité de ces espaces féministes non-mixtes meufs, en France. Étrange et inconfortable de se retrouver de l'autre côté de la barrière...

 

 

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Une longue discussion avec Zarina, ma maman locale a accentué ma remise en question. Au lieu de me rassurer, consoler quelque part, elle m'a fait comprendre, qu'en effet, ce n'était peut-être pas ma place ici. Que c'était tellement facile pour moi de venir m'occuper d'autres luttes, qui ne sont pas miennes, que c'était facile de me fuir... Que je ferai mieux d'aller parler à ces blanc-he-s qui continuent à envahir l'Afrique, économiquement, politiquement... Que ce serait plus mon rôle, ma place, même si beaucoup plus compliqué...

 

C'est un sentiment que j'ai depuis la Géorgie que « mes luttes » sont en France et en moi aussi. Mais on me l'avais jamais renvoyé dans la gueule si violemment. Ca fait du bien, un peu parfois, de se faire remettre à sa place. Cette place que je cherche tellement partout. Accepter qu'elle n'est pas partout justement...

 

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Hier, je croise cette femme dans le passage sous-terrain entre chez moi et le supermarché. Elle a son pied enveloppé dans une couverture et un sac plastique, elle boîte et souffre visiblement. Je lui propose de porter son sac de course, au moins pour les marches. Elle me raconte qu'elle s'est fait renverser une casserole de bouffe sur le pied le matin-même. Arrivée là-haut, elle ouvre le plastique et je découvre son pied, brûlé au troisième degré avec plaie ouverte. Ouch ! Je ne sais pas bien comment réagir. Je lui propose du chocolat, c'est tout ce que j'ai sur moi. Elle n'a même pas l'argent pour rentrer chez elle à Khayelitsha, à 30mn de là en train. Je lui file. Et je repars... Le coeur et la tête en vrac. Qu'aurais-je pu faire de plus ?

 

Je réfléchis à ca : c'est la première fois que je file de l'argent à quelqu'un-e dans la rue. Pourtant on m'en demande constamment. Des clopes, je distribue sans problème mais jamais d'argent. Pourquoi ? La réponse facile est : « je ne peux pas donner à tout le monde ». Mais encore ? Je me défend d'une richesse supposée française, pourtant, bien sûr que je suis riche relativement parlant.

 

C'est ça la réalité Sud-Africaine, c'est devoir constamment faire face à des inégalités extrêmes, une pauvreté, précarité profonde. Je crois qu'humainement, en tant qu’étrangèr-e, y'a pas de multiples façons d'y réagir.... Soit on ignore pour se protéger, soit on devient cynique, soit on fuit, soit on donne de temps en temps pour soulager sa conscience, etc. Y'a pas de réactions meilleures, adaptées à des situations d'une telle extrémité... Bien sûr, il faut politiser ces émotions, et lutter collectivement. Le personnel est politique. Mais ensuite ? Et au quotidien ? Les locaux-ales sont plutôt pessimistes quant à l'avenir de l'Afrique du Sud. Pourtant, je questionne : « Après toutes ces luttes, ces victoires, ces compréhensions qu'en tant que peuple, vous avez du pouvoir, comment ca se fait qu'il y a ce fatalisme ambiant ? » Parce que trop de trahisons, de déceptions, de capitalisme et néolibéralisme en plein expansion.....

 

 

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Alors, non, je ne suis pas triste de partir bientôt. Je ne suis pas pressée non plus. J'ai encore des choses à vivre ici, et j’apprends à faire parti du mouvement tout en m'en retirant également, parce que oui, je pars bientôt. Et j'ai besoin de rentrer maintenant, parce que je ne veux ni perdre ma sensibilité, ni devenir cynique ou pessimiste. Que oui, égoïstement, j'ai le besoin et la capacité de me protéger de ces réalités.... Et la nécessité de faire face aux miennes !

 

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Je crois qu'une claque violente que je me suis prise aussi, c'est dans mon rapport à la liberté. Depuis mes 17 ans, depuis qu'on m'appelle Kriska, j'ai découvert la liberté, étape par étape. J'y tiens fortement à « ma liberté individuelle », de mouvement, d'être... Pourtant, comme disait Mandela : « Personne n'est libre quand d'autres sont opprimé-e-s ». Et bim ! Au-delà de la claque, j'ai compris aussi que laisser de côté une partie de sa liberté perso pour se connecter aux autres, ca vaut le coup aussi ! ;)

 

 

no one is free

 

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Séjour / Stage à Cape Town
  • Encore un blog pour relater, partager cette nouvelle aventure, celle d'un séjour de trois mois et demi en Afrique du Sud, et plus précisément, celle d'un stage à ILRIG - Information Labour Research and Information Group – à Cape Town....
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