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Séjour / Stage à Cape Town

5 octobre 2014

Deux mois après.

 

On m'a demandé pourquoi j'étais autant à vif, pourquoi je ne parlais pas de cette expérience de stage, de vie à Cape Town. Je dis souvent qu'elle a été violente et j'ai du mal à aller plus loin. C'est quoi vraiment ce vécu là ? Une expérience humaine, militante et professionnelle, oui mais aussi une aventure perso d'isolement parfois et de perdition. De choc en fait. Je dis parfois que je n'étais pas prête à partir. Ca veut dire quoi ?

 

Être prête à faire face à certaines réalités, éloignées de celles qui sont les nôtres, dans nos « petits quotidiens de français-e-s ». Et là encore ça ne veut rien dire : on n'a pas les mêmes de quotidiens entre soi-disant « français-e-s » ou « Européen-ne-s » ou « Occidentaux-ales ».... ou quelles que soient ces catégorisations territoriales....

 

C'est la question du principe de réalité, dont je n'arrête pas de parler actuellement, notamment dans cette lutte de sans-papiers.

Ce principe de réalité auquel on est toutes et tous confronté-e-s, notamment dans ces luttes, ces mouvements sociaux qui s'inscrivent dans des dynamiques de transformation sociale.

Ce principe de réalité qui s'impose à nous.

Dont on se protège, ou pas.

Contre lequel on se bat, ou pas.

Ce foutu principe de réalité qui m'a foutu de sacrés claques là-bas.

 

Rien ne doit être indicible, et pourtant dur de partager ces sentiments, cette expérience.

 

Décalages toujours.

 

Et puis toujours ces formes de culpabilité, de recherche de place.

Qui je suis, moi, pour parler de l'Afrique du Sud ?

Qui je suis moi pour dire que j'ai été violentée par la violence de là-bas ?

Je n'en étais que témoin....

 

Ce pays, tout en contraste. Un pays dans lequel je ne pourrai pas vivre. Tellement bizarre à dire.

 

Une phrase qui m'est venu un jour là-bas et qui me revient parfois : la vie n'est vraiment pas un jeu pour tout le monde.

 

Pas envie de faire du misérabilisme pour autant.

 

Mais plus que jamais écœurée par les inegalités sociales, et leur intensité.

Plus que jamais dans l'envie d'apprendre, encore, comprendre, avancer, et lutter !!

 

 

 

 

 

 

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14 juillet 2014

News de fin en vrac

 

 

Quelques nouvelles du front. Au Sud, ca va trop vite. Plus que 8 jours et une rare intensité de vécus.

 

En vrac,

 

> J'ai passé une nuit aux urgences parce que Zarina, ma maman africaine, m'a fait une belle frayeur. Une semaine de grippe/bronchite bien sérieuse... Samedi, il y a 8 jours, au moment d'aller me coucher, je découvre qu'elle n'arrive pas à respirer correctement... Appel de l'ambulance à 1h du mat. Découverte des urgences Cape Townienne, assez sympathiques un samedi soir, avec son lot de gen-tes bourré-es, drogué-es, et autres joyeusetés. Pas de chauffage dans la salle d'attente, et un rythme... à l'africaine. Shanti, shanti comme diraient les turcs. Bref. On est reparties à 10h le matin avec tout un tas d'antibiotiques...

 

> J'ai été écouter Angela Davis, en passage à Cape Town. Cette militante marxiste / féministe, black américaine du mouvement des droits civiques des années 60's aux Etats-Unis, qui a fait parti des Black Panthers, a passé 2 ans en prison, et se bat encore aujourd'hui pour l'abolition du système pénitentiaire. 70 ans et une prestance, un charisme incroyable... Une humilité aussi ! Elle avait les mots justes pour le peuple d'un pays qui est sorti de l'apartheid il y a 20 ans, et pour qui les sujets de race et de genre sont tellement sensibles. Et elle a répondu royalement aux questions, même les plus “attaquantes”. Bref, RESPECT!

 

> Je suis définitivement étiquetée « French gangster ». A cause de mon langage, parce que j'ai toujours mon couteau suisse sur moi, parce que je ne pays pas toujours le train, parce que je n'ai plus peur de me balader seule la nuit en mettant ma capuche (dans certains quartiers!!), parce que je parle avec n'importe qui dans la rue... Parce que j'ai arrêté d'avoir peur ! Parce que je me retrouve finalement... retrouve mon humanité et ma liberté individuelle... tout en respectant celle des autres !

 

> Je me suis fait avaler ma carte bleue par un distributeur automatique alors que je voulais faire mon dernier gros retrait le WE dernier... J'ai bloqué mon compte français une demi-heure plus tard. Trop tard... On m'a retiré 9000 rands, soit quelques 600 euros sans compter les commissions de retrait (4 en tout). Donc plus d'argent, plus accès à mes comptes... Je relativise, grâce à la philosophie Mawethu... J'ai pas tout perdu, ma maison ou autre. Bon, c'est pas génial quand même, mais comme dirait ma maman locale : « Ca finit toujours par s'arranger à la fin. S'il y a toujours un problème, c'est que ce n'est pas la fin ! » Héhé.

 

> Aujourd'hui, j'ai été porté plainte au commissariat. Choquée déjà par le formulaire à remplir qui me demande non seulement mes noms, prénoms, sexe, etc... mais aussi ma « race ». En parlant race, le policier qui m'interroge est dit « coloured ». Je lui explique qu'en effet, il y avait quelqu'un avant moi, un jeune mec qui m'a « aidé » à changer le langage de la machine automatique qui me parlait en Afrikaans (la machine). Que non, je ne lui ai pas laissé toucher ma carte et que j'ai attendu qu'il parte pour faire mon code. Il présuppose direct que le mec est black. Je lui répond que non, il est « coloured », comme lui d'ailleurs, et lui demande si ca change quelque chose... Il grommelle, mais finit par sourire. Je suis de bonne humeur, malgré tout. On plaisante de mon orthographe et de ma manière d'écrire les chiffres « à l’Européenne » soi-disant. Et le mec finit par me draguer, un peu lourdement... Racisme et sexisme... Vive les flics Sud-Africains !

 

> En-dehors de ces moins belles aventures, il y a de belles surprises ! :) J'ai récupéré exactement 270 euros, suite à l'appel de solidarité internationale pour la maison de Mawethu, ce qui fait quasiment 4000 rands !! 3500, c'est le prix d'une « shack en kit », basique certes, mais imperméable en principe. Avec le reste des sous récoltés en local, on va peut-être même pouvoir acheter de l'isolation, ou plutôt un lit et autres nécessités de base.. A voir ! On s'en occupe en fin de semaine.

 

En tout cas, c'est magnifique !! D'une, on a finalement réussi à récolter de l'argent et une belle somme ! De deux, j'avais enlevé l'appel de facebook, car pas de réponses. En effet, la solidarité est tellement nécessaire partout, que je ne m'attendais plus à recevoir des sous de la France et tadaaam ! Ca fait chaud au cœur ! Ca me fait croire de nouveau à l'existence d'une « vraie » solidarité internationale. Loin des réalités des ONG internationales, de ces logiques de dépendances économiques des pays des Suds VS pays des Nords, loin de ces réalités néo-coloniales... Comme dirait un copain local, le sens du « comradeship » (camaraderie) dépasse les frontières, si tant est qu'on est attentif-ve-s aux rapports de dominations multiples qui s'imbriquent les uns les autres.

 

Pour rassurer celles et ceux qui m'ont envoyé de l'argent, j'ai réussi à transférer la totalité de la somme sur le compte de SOS – Sound of the South, ce collectif hip-hop dont Mawethu fait parti. Ca me paraît tellement plus « normal » aussi que ce soit eux qui ait l'argent sur leur compte... L'argent donne du pouvoir. Je ne veux pas de ce pouvoir, surtout en tant qu'étrangère ici...

 

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C'est drôle, comme à la fin, tout se dénoue. Je me libère enfin. C'est comme un puzzle mon séjour ici, plein de pièces détachées éparpillées violemment. Et c'est comme si elles s’emboîtent ces derniers temps donnant du sens à ce qui m'entoure, ce que je vis, ai vécu ici. Une des expériences les plus intenses de ma vie je crois bien. Ca sent la fin, c'est beau et triste à la fois. Mais NDIKONA ! I am/we are alive ! On est/je suis en vie ! ;)

 

8 juillet 2014

No one is free when others are oppressed!

 

Je ne voulais pas partir en stage dans un pays dit « des Suds », parce que j'avais peur de ces rapports de domination, que je n'ai pas toujours su gérer cette année-là en Géorgie. Parce qu'on ne peut pas changer des choses établies dans les mentalités depuis des années, en peu de temps. Je ne voulais pas partir en Afrique, ne pas être la blanche privilégiée, celle qui représente les pays anciennement (et actuellement néo-) colonisateurs ; celle qui est sensée être riche, celle qui est dominante.

 

Et puis, j'ai décidé de me faire confiance ; que les idées et valeurs anarchistes auxquelles je tiens et j'aspire - d'horizontalité, d'égalité, de conscientisation des rapports d'oppression, de domination - allaient quelque part me protéger de tout ca.

 

En fait, je réalise que je m'y suis mal pris dès le départ. J'ai pas su communiquer avec les locaux-ales sur mes questionnements, peurs, etc. Je me suis enfermée, pour ne pas fréquenter des mondes qui représentaient ce que je cherchais à fuir. Je me « la suis jouée perso », depuis le départ. Et finalement, cette histoire de maison brûlée m'a obligé à y faire face. Et c'est maintenant que je réalise que j'ai incarné quelque part des faits et ressentis contre lesquels je lutte. Spontanément, émotionnellement, j'ai réagi, publiant cet appel de solidarité sur facebook, partant là-bas pour nettoyer les restes. Des copains m'ont renvoyé dans la gueule que c'est comme si « je cherchais à prendre le contrôle ». Au départ, je m'en suis défendue, puis j'ai capté.

 

Yeap, j'en ai discuté avec Mawethu, mais juste à deux, oui j'ai rien fait sans son accord, mais je me suis autorisée à croire que j'avais les solutions. Et oui, j'ai apporté, si ce n'est imposé, quelque part, ma manière de voir et faire les choses, à l’Européenne ou pas, en tout cas perso. En fait, j'avais l'impression que tout le monde s'en foutait de ce qui se passait pour lui, mais je ne voyais que ce que je peux et veux voir. SOS est un groupe d'activistes culturels comme illes s'appellent eux et elles-même. Une bande de copains et copines noir-e-s, en non mixité, qui font du hip-hop politique. A leur réunion, illes ont discuté collectivement des démarches à effectuer, avec Mawethu, avant de se lancer dans l'action..... Évitant une logique d'efficacité que je condamne, mais dans laquelle je suis rentrée à 200 %, portée par mes émotions.

 

C'est « drôle » quelque part cette claque que je me prend, qui arrive maintenant, à 15 jours du départ... Une belle leçon politique et humaine. Leçon d'humilité. Politiser ses émotions. Privilégier la réflexion collective avant l'action. Et puis savoir s'effacer, comprendre qu'on n'est pas la clé, qu'on fait parti d'un tout, dans l'Ubuntu... Prendre confiance en soi pour mieux lâcher prise...

 

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Et ces questionnements sur mes propres privilèges. J'ai été dominante à réclamer de pouvoir rejoindre ce groupe noir non-mixte, j'avais même pas réalisée. Moi qui suis si violente avec les hommes qui ne comprennent pas la nécessité de ces espaces féministes non-mixtes meufs, en France. Étrange et inconfortable de se retrouver de l'autre côté de la barrière...

 

 

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Une longue discussion avec Zarina, ma maman locale a accentué ma remise en question. Au lieu de me rassurer, consoler quelque part, elle m'a fait comprendre, qu'en effet, ce n'était peut-être pas ma place ici. Que c'était tellement facile pour moi de venir m'occuper d'autres luttes, qui ne sont pas miennes, que c'était facile de me fuir... Que je ferai mieux d'aller parler à ces blanc-he-s qui continuent à envahir l'Afrique, économiquement, politiquement... Que ce serait plus mon rôle, ma place, même si beaucoup plus compliqué...

 

C'est un sentiment que j'ai depuis la Géorgie que « mes luttes » sont en France et en moi aussi. Mais on me l'avais jamais renvoyé dans la gueule si violemment. Ca fait du bien, un peu parfois, de se faire remettre à sa place. Cette place que je cherche tellement partout. Accepter qu'elle n'est pas partout justement...

 

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Hier, je croise cette femme dans le passage sous-terrain entre chez moi et le supermarché. Elle a son pied enveloppé dans une couverture et un sac plastique, elle boîte et souffre visiblement. Je lui propose de porter son sac de course, au moins pour les marches. Elle me raconte qu'elle s'est fait renverser une casserole de bouffe sur le pied le matin-même. Arrivée là-haut, elle ouvre le plastique et je découvre son pied, brûlé au troisième degré avec plaie ouverte. Ouch ! Je ne sais pas bien comment réagir. Je lui propose du chocolat, c'est tout ce que j'ai sur moi. Elle n'a même pas l'argent pour rentrer chez elle à Khayelitsha, à 30mn de là en train. Je lui file. Et je repars... Le coeur et la tête en vrac. Qu'aurais-je pu faire de plus ?

 

Je réfléchis à ca : c'est la première fois que je file de l'argent à quelqu'un-e dans la rue. Pourtant on m'en demande constamment. Des clopes, je distribue sans problème mais jamais d'argent. Pourquoi ? La réponse facile est : « je ne peux pas donner à tout le monde ». Mais encore ? Je me défend d'une richesse supposée française, pourtant, bien sûr que je suis riche relativement parlant.

 

C'est ça la réalité Sud-Africaine, c'est devoir constamment faire face à des inégalités extrêmes, une pauvreté, précarité profonde. Je crois qu'humainement, en tant qu’étrangèr-e, y'a pas de multiples façons d'y réagir.... Soit on ignore pour se protéger, soit on devient cynique, soit on fuit, soit on donne de temps en temps pour soulager sa conscience, etc. Y'a pas de réactions meilleures, adaptées à des situations d'une telle extrémité... Bien sûr, il faut politiser ces émotions, et lutter collectivement. Le personnel est politique. Mais ensuite ? Et au quotidien ? Les locaux-ales sont plutôt pessimistes quant à l'avenir de l'Afrique du Sud. Pourtant, je questionne : « Après toutes ces luttes, ces victoires, ces compréhensions qu'en tant que peuple, vous avez du pouvoir, comment ca se fait qu'il y a ce fatalisme ambiant ? » Parce que trop de trahisons, de déceptions, de capitalisme et néolibéralisme en plein expansion.....

 

 

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Alors, non, je ne suis pas triste de partir bientôt. Je ne suis pas pressée non plus. J'ai encore des choses à vivre ici, et j’apprends à faire parti du mouvement tout en m'en retirant également, parce que oui, je pars bientôt. Et j'ai besoin de rentrer maintenant, parce que je ne veux ni perdre ma sensibilité, ni devenir cynique ou pessimiste. Que oui, égoïstement, j'ai le besoin et la capacité de me protéger de ces réalités.... Et la nécessité de faire face aux miennes !

 

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Je crois qu'une claque violente que je me suis prise aussi, c'est dans mon rapport à la liberté. Depuis mes 17 ans, depuis qu'on m'appelle Kriska, j'ai découvert la liberté, étape par étape. J'y tiens fortement à « ma liberté individuelle », de mouvement, d'être... Pourtant, comme disait Mandela : « Personne n'est libre quand d'autres sont opprimé-e-s ». Et bim ! Au-delà de la claque, j'ai compris aussi que laisser de côté une partie de sa liberté perso pour se connecter aux autres, ca vaut le coup aussi ! ;)

 

 

no one is free

 

30 juin 2014

Un WE intense en émotions.... et remises en question...

Vendredi dernier, la "shake" (cabane en bois et taule) de 6m2 de Mawethu, un camarade et maintenant un frangin, a crâmé, avec tout dedans, tout le peu qu'il avait..... Il préparait des pochoirs pour un atelier avec des jeunes et s'est endormi, une bougie allumée... Ses vêtements, livres, cd, son portable, ses dessins et graphs, ses poèmes, ses instruments de musique.... Il a tout perdu sauf son portefeuille, qui n'a pas grand chose dedans !! Comme par hasard, la veille, la directrice d'une asso avec qui j'ai bossé me propose sa baraque car elle s'absente pour le WE... Une petite maison a Kalk Bay, dans une ville de blanc-he-s, au pied des montagnes et en bord de mer. Sans hésiter, j'embarque les copains du township.... Je veux "offrir" à Mawethu une pause dans ce moment de merde qu'il traverse.

 

Première soirée tranquille. Le lendemain matin, on réalise que la voiture s'est fait braquer !! Ils ont pris un sac avec les chaussures, un disque dur, des papiers et surtout le passeport d’un autre copain. C’est la merde, Anele est sensé partir en Allemagne pour l'asso ce mardi !!!! Ca fait des mois qu’il attend ca… Il part direct en ville pour voir s'il peut faire un passeport vite zef... Pas moyen ! Il revient, déterminé à retrouver les "gangsters". On arpente les rues, cherchant les magasins de revente, parlant avec les gens de la rue... On a des infos, on piste un certain Jason, un « coloured »... Les relations, une fois de plus, se font par couleurs… On nous explique que toutes les voitures nouvelles qui arrivent dans la ville se « font visiter ». « Tu comprends, bro, on est dans la même merde, c’est le business »… Le fait que les copains soient noirs facilite les négociations.

 

Ca nous prend tout le WE cette histoire, à arpenter les rues, avec des rendez-vous manqués, etc… Mais on finit par récupérer le passeport moyennant la somme de 400 rands (« à peine » 30 euros) pour le mec qui a, soi-disant, trouver le passeport par terre et 100 rands pour celui qui nous a guidé à lui… Anele est déterminé à retrouver Jason pour lui « faire un massage » comme il dit si joliment, mais j'arrive à lui faire accepter qu'on se casse juste, parce que les mecs ont l'adresse de la meuf chez qui on est, et à l'heure actuelle, je croise encore les doigts pour que rien n'arrive !!

 

Bref, pour un WE détente montagne-mer, c'est raté !

 

Apres ces émotions, je décide de suivre les copains pour aller nettoyer ce qui reste de « chez Mawethu ». J'hallucine en découvrant les restes de la baraque, que du bois cramé, des restes de vêtements, et de bouquins… Rien a récupérer !

 

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Commence le grand nettoyage ! Le seul truc drôle de l’histoire, c’est que les seuls trucs qu'on retrouve intacts sont..... des capotes !! Les capotes Africaines sont « fire-proof »… ;)

 

On se pose un peu pour réfléchir au plan… Que faire de tout ça ? Pas de moyens, ni financiers, ni techniques… On décide de creuser un trou, et de faire un feu pour cramer le reste… La nuit commence à tomber. Je devrais plus être ici. Khayelitsha est le township de Cape Town réputé pour sa criminalité... Je réalise qu'il est trop tard pour que je rentre seule en train, et je ne veux pas le laisser dans la merde... Anele propose de venir me chercher plus tard, il doit filer, je reste.

 

On commence à allumer le feu, les copains sont partis, mais d’autres potes débarquent, attirés par l’odeur dégeulasse du caoutchouc et du plastique qui brûle… c’est la seule façon qu’on a trouvé pour réussir a allumer le feu, avec du bois certes déjà calciné mais trempé… Les mecs partent et reviennent avec leurs instruments, commencent a jouer et chanter, des ados dansent… Une discussion avec un mec qui n'en revient pas que je sois la seule a m'activer alors que je suis une meuf, blanche de surcroît ! Moi je lui dis que chacun-e trouve sa place, moi c'est en m'activant, lui c'est en jouant du piano local.... Et qu’au final, on avance tou-te-s ensemble.

 

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Petite parenthèse pour parler du concept (sud-)Africain de l’Ubuntu. « Je suis parce qu’on est », que je considère en opposition a l’adage individualiste Occidental du « Je pense donc je suis ». On est inter-connecté-e-s entre êtres humains, chacun-e unique mais uni-e. en prenant soin les un-e-s des autres, on prend soin de soi-même…

 

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Des mecs commencent a débarquer de tous les côtés en mode vénères, ils ont peur que Mawethu crâme une autre baraque, ils veulent qu'on éteigne le feu… Je panique a peine, mais je suis pas rassurée, ils sont menaçants, lancent de l'eau sur le feu… Se demandent ce que fait une blanche ici… Mawethu s'en prend plein la gueule et ne sait pas comment réagir, mais c'est un survivant ce mec, il a vécu des trucs hallucinants dont il s'est toujours relevé… On négocie de faire un feu pas trop grand, de garder le contrôle… Et d’arrêter de brûler les plastiques qui font cette foutue fumée noire toxique... Ca dure des heures ce nettoyage, on brûle les restes, les livres, et Mawethu tout paisible qui voit partir les restes de sa vie en fumée… et en musique… La connexion humaine est bien là, l’air est glacial mais il fait chaud près du feu, et dans les cœurs… Les heures passent, les gens partent petit à petit, et le copain qui doit venir me chercher ne revient pas... L'Afrique, ou tout peut se passer..... 

 

Pas même stressée ! J'ai découvert Mawethu ce week-end, il est super sage ce mec sous ses airs de grand gamin, il m'a secoué, m'a fait comprendre plein de trucs... Vivre sans peur, tout en étant « street smart »… Mawethu qui relativise, c’est une nouvelle vie qui commence… Ce mec, il est hallucinant, il est tout tranquille, peace and love, avec ses cicatrices et son vécu d’une violence pas croyable… Il relativise tout, même après avoir tout perdu. Comme il dit, il a encore sept vies. Puisqu’il n'est pas mort dans l’incendie, sauvé de peu par les cris de sa sœur, se réveillant entouré de flemmes et de fumée, il ne sais même pas comment il est sorti…. Il me bluffe ce frangin ! Il m’apprend a lâcher prise, laisser les choses se faire, être en paix avec soi même et son environnement même quand c’est la pire des merdes autour !! Cette paix que je recherche depuis mon arrivée ici, mal à l'aise devant ce fosse d'inégalités, ne sachant pas comment et qui être... Je trouve la paix dans un des endroits les plus dangereux d'Afrique du Sud….

 

On se retrouve que tous les deux, à parler, chanter, juste être connecté-e-s, simplement. On arrive finalement a joindre le copain qui peut pas venir, il viendra nous chercher pour aller au taf le lendemain matin. On termine de tout bruler à 3h du mat. Je dors dans le lit de sa soeur avec elle, la maison juste a côté. Une "vraie" maison avec des murs en pierre mais rien dedans, c'est tout nu, tout bétonné, un taudis... Pas d'eau courante, pas de bouffe, la vraie misère et pauvreté... Pas moyen d'aller au toilettes, j'ai à peine faim, remplie des émotions du week-end et de l'esprit de la musique et du feu de la soirée.... On ne peut pas éteindre la lumière pour dormir sinon on coupe l’électricité. Le chauffage d’appoint est une plaque électrique qu’illes laissent allumer toute la nuit. Je touche du doigt ce qu’est la réalité de vie dans les townships ! Sauf que j’y ai vécu une soirée et une nuit...

 

Et voila, je suis la maintenant, a écrire du bureau, retour a une autre réalité.... J'ai pas encore tout digérer, je suis crevée et sous le choc encore je crois, de tout ça....

 

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On m'a rebaptisé hier, on m'a donné mon prénom africain : Khanyisa, celle qui apporte la lumière.... Un nouveau baptême a 27 ans, après celui de mes 17 ans où on m'a appelée Kriska.... Une nouvelle vie qui commence comme répète Mawethu....  J’ai l’impression d’avoir capté plusieurs trucs ces derniers temps, et je commence enfin à VIVRE vraiment… A me (re-)trouver, à me connecter à moi et aux autres… Et le départ qui approche… Encore un. Pas le premier, ni le dernier. J’compte continuer a vivre ce que je peux vivre ici, essayer d’aider pour retaper une maison, p'tèt un peu plus grande, de 9m2… Mais les choses prennent du temps…

 

Je crois que si j’arrivais pas a « vivre » ici jusque la, c’est ce que j’étais emprisonnée dans mon cerveau plus que dans une réalité difficile finalement...  Life is going on… And we're still alive ! Ndikona !!

 

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Mise à jour du 2 juillet : Appel à solidarité internationale ! Si ca vous dit de filer quelques euros pour le matériel de construction de la maison... Ecrivez-moi, je vous enverrai mon RIB. Je m'engage à une totale transparence quant aux fonds récoltés, et matos acheté... On a récupérer jusque là quelques 500 rands, soit à peine 35 euros, ce qui est largement insuffisant. Exemple concret, on a trouvé des panneaux de bois pour le bardage exterieur. 190 rands par panneau, il en faut 6. Sans compter le bardage interieur, les taules pour le toit, etc. Si vous avez des idées aussi pour une isolation super cheap. L'idée est de mettre des bâches, mais ca isole de rien du tout, ni de la chaleur étouffante de l'été, ni du froid humide de l'hiver... Y'a pas de paille ici... On est un peu à court d'idées... et largement à court d'argent...

 

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Mise à jour du 3 Juillet. Galère, une fois de plus, de trouver sa place. Je porte inévitablement ce bagage identitaire, blanc et Européen... C'est plus que lourd, ca m'épuise et me remet en question constamment. Organiser la solidarité collectivement n'est pas une mince affaire. Quand je m'active trop, on me renvoie cette image de la blanche qui vient se donner bonne conscience avant de repartir tranquille chez elle... C'est ultra long et compliqué de déconstruire tous ces rapports de domination. Le passé racial est tellement proche, et encore tellement présent, sur lequel s'ajoute les rapports de classe aujourd'hui... C'est vrai, je pars dans 15 jours ; c'est vrai, je suis impatiente ; c'est vrai, je veux faire bouger les choses pendant que je suis là... Et p'tét il faut juste que je lâche prise...

18 juin 2014

Queer in Africa ou un WE d'aventures.... (30-31 mai)

J'ai eu la chance de tomber sur le programme d'un festival « Queer in Africa ». Exactement ce que je recherchais, pour mes recherches de mémoire et mon intérêt perso. Dans mon asso, personne n'a jamais entendu parler du mouvement / identité / mot « queer ». Je me demande depuis que je suis arrivé si c'est un « concept Occidental » ou pas.

 

Je fonce à la première discussion vendredi midi. « What is queer in Africa ? ». J'ai compris récemment qu'il n'y avait pas de « féminisme universel », qu'il évolue et prend des formes diverses, en fonction des cultures, des religions, des classes, et de plein d'autres facteurs... et de l'imbrication de ces différents facteurs (l'intersectionnalité). Quant au queer, je découvre depuis peu ce concept qui prend aussi de multiples formes rien qu'en France. En fait, les définitions sont multiples aussi ici, mais en les ajoutant les unes aux autres, elles permettent de dessiner un quelque chose. Pour certain-e-s, c'est ce qui regroupe tou-te-s les LGBTI ; pour d'autres, c'est un terme contre les catégorisations précédemment citées qui permet de mettre en valeur une pluralité et diversité d'identités et sexualités de genre. Pour une auteure, le queer est un concept large qui regroupe toutes les sous-cultures contre l'hétéronormativité... Un-e autre ajoute que le queer est inconfortable, il ne permet plus ce privilège pour les hétéros de mettre en valeur leurs ami-e-s gays. Échanges riches, j'en prend plein les oreilles, trop contente d'être arrivée ici, je compte bien continuer le festival... Et c'est là que les aventures commencent...

 

Vendredi soir, projection du film « Woubi chéri » sur les problématiques homo et trans en Côte d'Ivoire. J'y vais en mini bus, en ne sachant pas bien comment je vais pouvoir rentrer, car quand il fait nuit, il est pas bon être blanche, seule, dans la rue. Bref. Je rassure Zarina, celle chez qui j'habite en lui disant qu'il y aura sûrement du monde à rentrer dans la même direction qui pourra me déposer à Observatory. La soirée est super, projection, vin et pop corn gratuit ; un film plutôt léger sur des problématiques qui ne le sont pas, surtout là-bas ; un débat intéressant après le film. Il y a des personnes de partout en Afrique qui partagent leurs expériences dans leurs propres pays. C'est comme un bol d'air cet espace-temps, ce festival, ca se sent dans les échanges. Les langues se délient sur des sujets sensibles, les gen-te-s se libèrent. Après le film, à chercher un moyen de rentrer, je rencontre des personnes qui ont organisé-e-s le festival, où qui ont été invité pour l'occasion. On profite du vin, je pose plein de questions. Je découvre le concept du « coconut ». Des personnes blacks, qui sont blanches à l’intérieur. L'apartheid ayant hiérarchisé les couleurs, certains parents se battent pour élever leurs enfants « de manière blanche ». Ainsi ces « coconuts » parlent anglais avec l'accent blanc, ont été élevés dans des milieux blancs. Une coconut m'expliquait son parcours pour retrouver son identité, sa « blackness ». Les rapports de domination ne sont pas seulement imbriqués entre race, sexe et classe. Ils sont multiples et bien plus complexes.....

 

Bref, le théâtre-cinéma ferme, on décide de continuer la soirée à Observatory. On se retrouve à 6 dans une voiture pour 4. Je me retrouve, pas très à l'aise, sur les genoux d'une « vieille lesbienne », comme elle se définit elle-même. Y'a d'l'ambiance dans la voiture, j'ai l'impression que tout le monde se connaît, en fait non. Et soudain, barrage de flic, illes arrêtent les voitures une par une. Je dois me coucher à l'arrière, planquée sous leurs bras et des vêtements... j’entends et ne comprend pas tout ce qui se passes, mais ca commence à stresser... la conductrice doit sortir, ouvrir son coffre, souffler dans le ballon.... Forcément, ca passes pas. Elle est arrêtée, menottée. Les flics sont tellement occupé-e-s à arrêter les gen-te-s qu'illes ne remarquent pas qu'on est 6 à descendre de la voiture. Un gars souffle aussi pour voir s'il peut conduire, évidemment non. Il demande si d'autres ont leur permis. Je répond que oui, mais pas sure de passer au contrôle. De toute manière, après de longues négociations, les flics ne veulent pas de mon permis français. La conductrice se fait donc embarquer dans sa propre voiture, par un flic, et on se retrouve à marcher, en plein milieu de la nuit, pour aller au commissariat. Ambiance étrange, encore dans l'ambiance de la soirée, un peu paumé-e-s, on comprend pas tout ce qui se passe. Une fille stresse, surtout qu'illes sont parti-e-s à deux dans la voiture, sa copine et le flic, et que le harcèlement sexuel n'est pas inhabituel ici, entre autre... Finalement on arrive au comico, la meuf est bien arrivée, on peut même la voir 5mn avec qu'ils l'emmènent en garde-à-vue pour 6h. Bref, vive les soirées queer en Afrique du Sud ! ;)

 

Samedi, je retourne à ce festival. C'est à l'Université encore, mais évidemment pas dans le même bâtiment. Déjà, j'arrive en retard, et en plus, je tourne pendant 30mn, me faisant envoyer d'un bâtiment à un autre.... bref, j'y arrive finalement. C'est la présentation d'une expo « Critically queer ». Les photos et peintures sont oufs, les présentations aussi !

 

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Illes m'impressionnent par ce qu'illes dégagent, expriment. Une force du désespoir... Une participante questionne ce que l'artiste trans recherche dans les gen-te-s autour, si ille recherche une quelconque considération de son humanité, du respect. Ille répond qu'ille ne cherche pas à être accepté-e, ou considéré-e comme un être humain, ille cherche à ce que les gen-te-s se questionnent sur leurs propres identités et leurs propres perceptions de ce qu'est un être humain... Et bim ! Un-e autre artiste raconte comme 1994 et l'essor de la nation arc-en-ciel l'a libéré-e – à travers la rédaction notamment de la Constitution Sud-Africaine, qui protège les droits des personnes LGBTI - et en même temps emprisonné-e dans ces catégories qui ne reflètent pas la diversité des identités et sexualités de genre.

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J'écoute, bluffée par leur courage, la force qui se dégagent d'elleux ! C'est ouf ! Ca se termine et j’entends qu'il y a une autre conférence sur les trans-identités. Mais il faut être invité-e. Tant pis, ca m’intéresse vraiment, je décide d'y aller au culot, on verra bien. Je retraverse la ville à vélo, et arrive dans un grand hôtel avec quelques étoiles apparemment. Je rentre tranquille, prétendant être sure de moi et de là ou je vais.. Je n'en ai aucune idée. Ma couleur de peau ouvre inévitablement des portes... Je trouve un buffet bien garni. Génial, ca me permet et de manger (super bien, soi-dit en passant) et d'observer ce qui se passe autour. Je me dirige ensuite vers ce qui semble être l'entrée de la salle de conférence. Et là, ca coince... On me demande mon nom. Je le donne et demande innocemment s'il fallait s'inscrire avant. On m'explique alors que c'est seulement sur invitation ou alors qu'il faut payer 350 rands (25 euros)... Je joue un peu la comédie, à peine, juste pour montrer ma déception et incapacité à payer cette somme. J'espère qu'illes vont me laisser entrer quand même. Puis j'arrête, je veux pas abuser, ni en faire trop. Illes s'excusent beaucoup, je les remercie et repars. Pas de regrets, j'ai visité un bel hôtel et profité du buffet... ;)

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25 mai 2014

Ca fait longtemps que je n’ai pas écris ici...

Ca fait longtemps que je n’ai pas écris ici... Phase un peu compliquée des deux semaines précédentes… Je n’avais plus l’inspiration et les mots pour comprendre et m’exprimer. Plein de remises en question, de questionnements divers et variés… Après la phase découverte, il y a eu la phase « je prend mes repères », et puis la phase « remise en question ». Qu'est ce que je fais là ? Quel sens ? Quelle légitimité ? Toujours et encore cette question de légitimité qui revient...

 

Les mauvaises nouvelles françaises (article ci-dessous) ont accentué une sorte de sentiment de “mal du pays”, avec la désagréable impression que ce n’est pas ma place ici, que ces luttes ne sont pas les miennes… Et pourtant, les luttes d’ici sont des luttes internationales, celles des précaires, des travailleur-euse-s , des chômeur-euse-s, des mal-logé-e-s, etc. Et malgré et avec les différences culturelles, je retrouve des modes d’action, de résistance commun-e-s. Bien sur, c’est à replacer dans un contexte historico-politico-socio-économique singulier, mais dans notre monde globalisé et capitaliste, les problématiques sont vites les même !

 

Du coup, j’ai fais ma tortue pendant un temps, me réfugiant dans “ma grande maison”, mes randos et mes lectures pour essayer de comprendre, toujours plus, ce contexte. Éviter de faire face également a une réalité quotidienne que je trouvais trop violente.

 

 

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Ce que j'ai découvert au fur et à mesure et qui a créé mon malaise, c'est qu'il y a deux Cape Town : le premier ultra blanc et touristique, tellement vanté par les étranger-e-s croisé-e-s ici. J'ignorais avant d'arriver que Cape Town était la ville la plus touristique d'Afrique du Sud, et une des villes les plus touristiques d'Afrique... Et le Cape Town des townships, des mendiants à tous les coins de rue, des jobs informels. Des mini stands partout, sur les trottoirs, qui vendent des clopes, des fruits et légumes et autres accessoires en tout genre. Au grand plaisir des touristes... Ca me fait gerber un peu tout ca ! Y'a même des gars, qui gardent les voitures en ville. Parfois, quand tu cherches à te garer, ils essaient de t'accompagner pendant le créneau. C'est plutôt rare. Par contre, quand tu retournes à ta voiture, tu sais pas trop d'où ils sortent, mais y'en a toujours un ou deux qui arrivent en courant, pour te guider et venir te réclamer une pièce pour “avoir gardé ta voiture”. Drôle de concept, mais sorte de coutume locale, et tout le monde donne, au moins deux, trois rands. (15 rand = 1 euro, j'vous laisse faire le calcul...)

 

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Bref, je suis finalement sortie de mon trou. J’ai compris que je n’étais pas coupable d’être blanche et Occidentale, que conscientiser mes privilèges était une chose - fondamentale d’ailleurs il me semble - mais que je ne pouvais et ne devais m’empêcher de vivre. A vouloir fuir les blanc-he-s a tout prix, d'une part je niais finalement une réalité, celle d’un pays multiracial : les afrikaans, les xhosas ou les zoulous sont tou-te-s Sud-Africain-e-s. Avec des différences certes très fortes, de classes sociales notamment, de culture aussi. D'autre part, je niais aussi ce que j'étais... C’est tellement con à dire, mais je ne suis pas noire et ne serai jamais considérée comme telle. Depuis que j'ai compris ça, ça le fait. Je continue à parler avec tout le monde, j'ai retrouvé une forme de légèreté quotidienne, tout en ayant une certaine conscience de l'environnement dans lequel j'évolue. Pareil pour l'“insécurité”, j'ai trouvé mon équilibre je crois. Il y a des choses que je ne fais pas, et des endroits où j'évite d'aller seule, mais j'ai retrouvé une certaine liberté, surtout depuis que j'ai récupéré un vélo.

 

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Ça fait exactement sept semaines que je suis là. J’en suis presque à la moitié de mon séjour ici ! C'est vraiment court trois mois et demi pour s'imprégner d'un nouvel environnement. A peine je commence à m'y faire, et je vais devoir partir.... En attendant, je profite : je m’émerveille de la beauté de la nature et de certains concepts culturels, comme l'Ubuntu (j'en parlerai plus tard), je m'imprègne de l'histoire et du présent des luttes locales, j'ai recommencé à courir un peu partout, pour telle ou telle discussion, conférence, manif sur des sujets variés. Bref, je me remplis de tout ce que je découvre et vis ici. Pas toujours simple mais d'une richesse et d'une intensité forte ! Je continue à me prendre des claques régulièrement, ce sont des bonnes leçons d'humilité aussi...

 

Par exemple, la semaine dernière, on a organisé l'atelier mensuel “Politique et féminisme d'aujourd'hui”. Problèmes logistiques, j'ai cherché un rétro projecteur partout pendant une demi-heure, allant frapper à toutes les portes des associations autour. Finalement, j'en ai récupéré un, au grand étonnement d'une de mes collègues qui est à l'accueil. En plaisantant, je lui ai dit que c'était le pouvoir du sourire. Elle m'a répondu que c'était surtout le pouvoir de ma couleur de peau. Et bim !

 

J'ai co-animé un atelier sur les problématiques de genre il y a 15 jours. J'étais vraiment pas à l'aise. Pourtant c'était de l'éducation populaire, et j'ai proposé un débat mouvant. Mais reste que je suis plutôt directive / autoritaire au naturel, bien qu'aussi sensible aux rapports de domination... Toujours est-il que j'avais peur d'être trop. Trop directive, trop Occidentale.... Pas facile de doser, d'être à la bonne place, si tant est qu'elle existe…

 

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J'ai re-déménagé la semaine dernière, dans la même rue où j'étais ces 15 derniers jours, seule dans “ma grande maison”. J'adore ce quartier, Observatory, quartier étudiant, artistique, hippie et anarchiste. Cette fois-ci, il semblerait que je risque bien de rester jusqu'à la fin. J'habite chez et avec Zarina, une jeune grand-mère militante qui vient de perdre son boulot, et avait besoin de sous-louer une de ses chambres, pour s'en sortir financièrement. Elle a préféré se faire licencier plutôt qu'accepter une baisse de son salaire, par dignité comme elle dit, et respect d'elle-même.

 

Pas de retour à l'auberge donc, mais j'ai une chambre à moi, pour le même prix et sans travailler. Et après ces 15 jours d'intimité, j'en ai définitivement besoin. Une nouvelle aventure qui commence pour elle, qui n'a jamais vécu avec quelqu'un-e qu'elle ne connaît pas, et pour moi. Elle se bat depuis des années pour l'histoire du district 6. Rapidement pour expliquer, c'était un quartier en pleine ville, où les « coloured people » ont été « parqué-e-s » pendant l'apartheid. Et puis un jour, illes ont été expulsé-e-s, et envoyé-e-s à des kilomètres pour vivre dans des townships insalubres. Le district 6 a été complètement rasé, soi-disant pour des projets de construction. (Ca me rappelle tristement d'autres histoires françaises...) Depuis la fin de l'apartheid, soit depuis 10 ans, un-e groupe de militant-e-s de cette communauté se bat pour revenir dans ce quartier qui n'est plus qu'un terrain vague. Illes ont obtenu la reconstruction du quartier, étape par étape et illes continuent les négociations avec le gouvernement, à raison de réunions hebdomadaires pour faire avancer les choses... Elle m'impressionne cette femme-là, Zarina. Elle a une force, une poigne incroyable. Comme elle dit, elle est une survivante, et elle ne compte pas mourir avant d'avoir célébré au moins un Noël (alors qu'elle est musulmane, héhé) avec tous les enfants de la communauté, dans son salon de sa nouvelle maison du district 6. (Pour l'anecdote, Noël a bien lieu le 25 décembre ici, soit en plein milieu de l'été et le père Noël a la même tenue, malgré les 37 degrés ! ;) )

 

J'ai plus internet « à la maison », mais c'est pas plus mal, ca m'évite d'y traîner pendant des heures, et je vais m'poser à Bolo bolo quand j'en ai besoin, un p'tit café vegan- anarchiste, bien sympathique, avec des allures de Samovar (un chouette lieu Bordelais).

 

12 mai 2014

Devil's peak - 1000m

C'est le stade de foot qu'on voit au fond à droite (l'espèce de beignet), qui a acceuilli, la tant controversée coupe du monde de football en 2010

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Un sentier plus très bien défini..

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Table Moutain sur la droite, et on aperçoit le cap de Bonne Esperance tout au fond à gauche...

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Protéa, fleur nationale du pays

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Marche en pleine nature, et soudain, en redescendant, un chemin amménagé, qui apparait de nulle part..

Bonne petite pause improvisée sous les arbres.. J'y ai laissé mon écharpe....

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Une belle rando, redescendue en trail (en courant), autant pour le plaisir que parce que j'avais sous-estimé le temps de montée et que le soleil n'allait pas tarder à se coucher. M'a rappelé de bons souvenirs corses ! Happyness is real only shared, il paraît..

9 mai 2014

Solidarité internationale

Et pendant ce temps-là, la vie continue en France et ailleurs, avec son lot d'injustices et d’inégalités et sa necessité de révolte et de solidarité surtout !!!!

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Nouvelles de Caen aujourd'hui :



URGENT : Squat expulsé !!!! Au moins 50 personnes à la rue !!!

Besoin de monde !!!!

Appel URGENT à la solidarité : tentes, matelas, couverture, bouffe...

Pour tout contact : ag-contre-expulsions@mailoo.org

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Les faits : Après seulement une semaine, le squat du 5 place du 36ème régiment d'infanterie à Caen a été expulsé ce vendredi matin à 7h par les CRS et les flics locaux. Les expulsé-es des centres d’hébergement d’urgence s’y étaient installé-es. Le bâtiment vide depuis plusieurs années appartient au groupe Allianz, société d’assurances au capital de près d’un milliard d’euros…

La DDCS (Direction départementale de la Cohésion Sociale) a fait la proposition ridicule de reloger pour 3 jours seulement les familles avec enfants (environ 30 personnes). Nous attendons des informations complémentaires. Ce sera sans doute à l'extérieur de Caen. Ils seront à la rue Lundi.

Les 50 autres personnes se retrouvent à la rue dès ce soir, sans aucune solution de relogement.

C'est pourquoi votre aide est précieuse particulièrement aujourd'hui !

Assemblée générale de lutte contre toutes les expulsions

SOLIDARITE AVEC LES EXPULSE-E-S !!!!!!!!!!!

Plus d'infos par là : http://communismeouvrier.wordpress.com/2014/05/09/expulsion-en-cours-a-caen/

 

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A Bordeaux :

 

Le mercredi 14 mai, la juge rendra le verdict dans "l'affaire Planterose".

Rappelons que le procureur a requis contre les prévenu-e-s des peines de prison avec sursis : 4 à 6 mois pour François et Myriam, 2 à 4 mois pour Antoine et Lydie, 2 mois pour Manon.

L'usufruitière a demandé quant à elle 10 000 euros de dommages et intérêts.

Soyons nombreux/nombreuses devant le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux ce mercredi 14 mai à 13h30 !!!!

!!! LA SOLIDARITE EST NOTRE ARME !!!

 

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Le comité de soutien
https://www.facebook.com/pages/Comité-de-soutien-DAL-33/308963959255023

Contact DAL 33 : 06 95 43 53 23
http://dal33.over-blog.com/

SOLIDARITÉ (pour les frais d' Avocats) : Chèques à l'ordre de "fédération DAL" - Ecrire au dos du chèque "solidarité 33" et adresser à Fédération Droit Au logement – 29 Avenue Ledru-Rollin 75012 Paris

Complément d'info :
Conférence de Presse avant le procès du 9 avril dernier
http://opa-infos.over-blog.com/2014/04/proces-dal-conference-de-presse.html

 

7 mai 2014

Election's day

7/05 - Aujourd'hui, jour d’élection présidentielle, donc jour férié en Afrique du Sud. Le pays est en pleine ébullition depuis plusieurs semaines. Quelques bagarres ces jours-ci entre partisans, quelques blessés légers, mais pas de révolution en vue !

 

L'ANC (African National Congress), le parti de libération, au pouvoir depuis 1994, sera sans aucun doute réélu, malgré la chute de sa popularité dans l'opinion publique. 1994, date historique qui signe la fin de l'apartheid et permet, pour la première fois dans le pays, aux noir-e-s d'aller voter. Nelson Mandela, premier président noir au monde, est élu haut la main avec 63 % de voix. 20 ans de « démocratie » cette année, et c'est toujours l'ANC qui gouverne le pays. Pourtant, Jacob Zuma, président depuis 2008, est éclaboussé par plusieurs scandales politiques : accusation de viol, de corruption, et tout récemment, une affaire de détournement d'argent pour la rénovation de sa résidence privée, pour le maigre montant de 16,5 millions d'euros. Mais les gen-te-s ne votent pas pour la personne, mais le parti. Et aucun des partis d'opposition ne fait le poids contre l'ANC, qui profite encore de la notoriété d'une certaine libération toute récente, et notamment de son icône nationale, Nelson Mandela. Pourtant le parti a pris un coup également. Spécificité Sud-Africaine : le parti au pouvoir gouverne dans une alliance tri partite avec le SAPC (Parti Communiste d'Afrique du Sud) et le COSATU (la plus grande fédération syndicale d'Afrique du Sud). Or, NUMSA, le syndicat (bien à gauche) des ouvriers de métallurgie – membre le plus important du COSATU - a déclaré en fin d'année dernière qu'il ne soutiendrait pas l'ANC pour les prochaines élections. Il a annoncé son retrait du COSATU, et invité les autres syndicats à faire de même. En effet, le socialisme d'Etat promis par l'ANC n'est jamais arrivé, et les politiques néo-libérales actuelles ne vont pas dans ce sens... Mais malgré ce coup de force de NUMSA, plus que symbolique aux vues de l'histoire des luttes syndicales en Afrique du Sud, les partisan-ne-s de l'ANC sont toujours là, et motivés à faire gagner l'ANC, une fois de plus.

 

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A côté de ca, l'apartheid est loin d'être fini. Les personnes au pouvoir sont blanches (surtout blancs d'ailleurs..) et les habitant-e-s des townships, noir-e-s. Et ces disparités se retrouvent partout ailleurs, dans les mentalités, les boulots, etc. Les townships sont ces banlieues créées pendant l'apartheid quand les noir-e-s ont été parqué-e-s loin des centres-ville, pour créer ces villes blanches. Les townships, ce sont deux millions de personne, rien qu'à Cape Town. La situation s'améliore soi-disant, ces dernières années. Le Programme de Reconstruction et Développement a été lancé en 1994, avec des politiques de logement, d'accès à l'eau et électricité, réforme agraire, santé et emploi public. Rien que pour le logement, plus d'un million de « RDP houses » (les maison issues de ce programme) ont été construites. Mais ces « boites d’allumettes », comme illes les appellent ici, ont été faite à la chaîne, sans souci de qualité et de longévité. Les partenariats entre les grosses entreprises de construction et l'Etat n'ont pas aidé à la viabilité... Bref, le bilan est plus que mitigé, sans parler des inégalités que l'accès (ou non) à ces maisons, a créé au sein des townships !

 

A côté de ça, le chômage, les inégalités, le sida y sont bien plus présents qu'ailleurs dans le pays. Quelques chiffres : 12 % de la population Sud Africaine touchée par le sida, 25 % de chômage officiel, 40 % selon les associations et jusqu'à 80 % dans les townships ; un fossé qui se creuse entre les très riches et les très pauvres, notamment avec le développement des « black diamonds », une nouvelle classe sociale noire riche. La criminalité, soi-disant une des plus hautes au monde, est concentrée dans ces zones, où des gangs, parfois de mecs de 13, 14 ans sévissent... Pareil pour les viols. L'Afrique du Sud collectionne les médailles. Même si on fait dire aux chiffres ce qu'on veut...

 

Pourtant ca bouge : depuis 2008, deux millions de manifestant-e-s dans les rue chaque année. Une grève des travailleurs des mines de platine, de plus de trois mois est en cours. Les mines de platinum sont détenus par des géants (Anglo American Platinum (Amplats), Impala Platinum (Implats) et Lonmin) qui recourent au chantage pour faire revenir les travailleurs. Ceux-ci réclament des salaires décents, soit 12 500 rands par mois (à peine 900 euros). Et la somme est symbolique, c'était la même réclamée par les mineurs de Marikana, dont la grève a terminé par un bain de sang en août 2012. Ce massacre a marqué les esprits. Le chantage sur le risque de fermeture des mines, à cause d'un grève qui s’éternise, sonne faux lorsqu'on découvre les salaires mirobolants des chefs d'entreprise, sans compter les bonus... N'empêche, les grévistes fatiguent et certains tendent à accepter la proposition d'une évolution des salaires sur quatre ans. Le gouvernement fait pression également pour que la grève se termine. Les négociations sont en cours....

 

Pour en savoir plus sur l'actualité du pays, un bon article du Monde Diplo :

http://www.monde-diplomatique.fr/2013/03/CESSOU/48841

 

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Les élections donc.

 

Un taux record d'inscriptions aux listes électorales cette année, surtout chez les jeunes. Si je schématise, il y a une majorité de personnes noir-e-s qui votent ANC ; les blanc-he-s et les « coloured » se tournent plutôt vers le DA, « Alliance Démocratique » qui a une femme a sa tête. Il y a des partis de longue date, et d'autres plus récents, comme l'EFF, « Combattants de la liberté économique ». Ce dernier, propose un Etat communiste. Il veut commencer par récupérer toutes les terres qui sont dans les mains des blanc-he-s, pour les redistribuer aux noir-e-s, les « vrai-e-s Africain-e-s »... Ce parti semble populaire chez certain-e-s des « born free », comme on appelle cette nouvelle génération, née après la fin de l'apartheid. Mais la majorité reste fidèle à l'ANC. Comme m'a dit un jeune xhosa récemment : « Je suis né ANC, je mourrai ANC ». Il reconnaît l'inefficacité et la corruption du gouvernement, est choqué par les scandales du président, mais c'est la politique du « moins pire », et la fidélité à Nelson Mandela. Il en faudra du temps pour que les mentalités évoluent. Une campagne a été lancée pour « spoiler » les bulletins : « Sidikwe ‘Vote No Campaign », qui signifie : « Ras-le-bol » en xhosa. Quelques collègues ont lancé une campagne « no vote », je dépose les flyers partout où je passe...

 

Résultats ce soir !

 

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8/05 - En fait non, toujours pas de résultats définitifs. Le taux de participation est assez important, bien plus haut que dans la majorité des autres pays du monde. Les gen-te-s veulent du changement et semblent encore convaincu-e-s qu'il aura lieu par les urnes... A suivre...

 

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12/05 - Les résultats définitifs sont finalement arrivés samedi, soit 3 jours après les elections. Taux de participation énorme, ANC a plus de 62 %, pas plus de bulletins nuls que d'habitude...

Un court article sur les résultats : http://www.lepetitjournal.com/johannesbourg/accueil/actualite-afrique-du-sud/184827-elections-proclamation-officielle-des-resultats-des-elections-presidentielles

 

2 mai 2014

Ecrits du soir.... bonsoir !

Je ne m'attendais tellement pas à trouver de la chouffe ici.. C'est déjà dur d'avoir fait un trait sur les fromages, notamment le camembert.... Alors oui, j'avoue, j'ai craqué !! Une tite pensée pour le Chef Raide, et les cuites de Chouffe à la pression !

A la vôtre ! ;)

 

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J'viens d'« emménager » dans une maison. Parce que les propriétaires sont parti-e-s en vacances en France, pour une vingtaine de jours. Une trop grande maison pour moi toute seule, toute en longueur, sur un seul étage, trois mètres de plafonds, quelques 40 mètres carrés, deux frigos, une baignoire et une douche, des murs blancs partout.... Dans un quartier blanc, avec des maisons toutes similaires autour.. peuplées de blanc-he-s. Maison sécurisée avec des cadenas, une alarme.... Tout à l'heure, j'ai entendu du bruit dehors.. une personne qui faisait la poubelle.... Non, je ne me sens pas à ma place. Je me sens beaucoup moins bien que quand j'habitais dans cette auberge, remplie de personnes différentes, de toutes les couleurs.... Bien que je doive avouer que j'apprécie un certain confort et surtout une intimité, enfin.

 

Mais je ne comprend pas ce décalage, tellement fort. Je me sens en insécurité alors que je suis ultra blindée. Fossé creusé entre plusieurs populations, tellement accentué ici.. Je parle souvent de couleurs. Ici, illes parlent de « races ». En France, ce mot est tabou. De fait, il n'existe pas. Il n'existe qu'une race humaine. Mais pourtant, ce terme a été employé pour justifier les pires atrocités, des génocides, un apartheid.... Il est encore employé aujourd'hui en Afrique du Sud, car, comme m'expliquait un collègue : on ne peut lutter contre des inégalités si on efface le terme. Car le « concept » est bien là, omniprésent. Je comprend et partage, je pense, ce point de vue.

 

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Je ne suis pas là pour fréquenter des français-e-s, mais pour me « mélanger » à la population locale, m'imprégner des différentes cultures.... Mais c'est tellement compliqué ici. Un copain français, récemment, m'a qualifiée d'« immature » pour mes idées et envies de voir les choses. En effet, constamment, je suis renvoyée à ma condition de blanche, d'Occidentale. Je bénéficie pourtant de mon statut d'étrangère, mais je reste blanche. Malgré tout, je continue à exécrer et refuser cette ségrégation, dans laquelle je ne me retrouve pas.

 

J'essaie d'apprendre quelques mots de xhosa, la langue la plus parlée ici, mais seulement par les noir-e-s.. On m'a dit être impressionnée de ma facilité à apprendre. Pourtant, je sais à peine saluer, demander comment ca va, c'est tout. Mais les blanc-he-s d'ici, n'essaient pas d'apprendre. A chacun sa langue, sa culture.. Pour la communication entre "races", il reste l'anglais....

 

L'apartheid ? Il a été officiellement aboli en 1994, à l'arrivée de l'ANC et de Nelson Mandela au pouvoir. Mais pourtant il perdure, dans les mentalités, la découpe géographique des villes, l'accès aux postes de pouvoir et de responsabilité dans les entreprises, et partout ailleurs !

 

Rien que dans mon asso, où on « trouve de tout », les Xhosas prennent leurs pauses ensemble, les Afrikans aussi.. Jeff, un Sud-Africain, petit fils de Chinois immigré, m'expliquait, lors de ma première semaine, qu'il était toujours considéré comme étranger. Je lui ai répondu à l'époque qu'il s'enfermait peut-être tout seul dans cette considération. Je le comprend mieux aujourd'hui..

 

Quelles contradictions ! Dans ce pays de la liberté, je ne me suis jamais sentie aussi moins libre que dans n'importe quel autre pays visité.... Pays arc-en-ciel où les couleurs ne se mélangent pas....

 

J'appréhendais d'aller en Afrique pour ce choc culturel, parce que je ne voulais pas "me sentir blanche" au milieu des noir-e-s, pour ce que ca implique dans l'inconscient collectif. L'Afrique du Sud n'est pas vraiment l'Afrique comme beaucoup disent. A elle seule, elle concentre plus de richesses que tous les autres pays africains.... Et pourtant, une fois de plus, les richesses appartiennent à certain-e-s (surtout certains en fait), classe dominante, principalement blanche.

 

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Aujourd'hui, je parlais avec Mzi, un collègue xhosa. Je lui exprimais ma surprise de cette séparation si forte des cultures, et de cette Occidentalisation du pays. Il m'expliquait que chaque « peuple » avait ses propres traditions. Il m'a alors raconté le rite de passage à l'âge adulte, dans leur culture. Entre 18 et 25 ans, les jeunes mecs sont envoyés dans les « bush » (les buissons), en-dehors de la ville. Ils y passent un mois, parfois seul, parfois à deux ou trois. Ils partent sans rien, nus, une couverture sur le dos. Ils doivent construire une sorte de cabane de paille et de terre. Ils se font apporter à manger tous les jours. Au milieu de ce temps-là, ils se font circoncire, évidemment sans aucune assistance médicale....

 

Je grimaçais quand Mzi me montrait des photos sanguinolentes ; lui rigolait de voir ma tête.. Ca se passes simplement : un mec vient avec un grand couteau, le jeune en question boit une sorte d'alcool local, serre les dents et crie « je suis un homme » en xhosa, au moment du coup de couteau. Puis il entoure son sexe d'entrailles de moutons, et de plantes cicatrisantes, se fait recouvrir complètement d'une sorte d'argile blanche sensée le purifier et lui permettre de passer de sa jeunesse à l'âge adulte. Il reste encore dans sa hutte, jusqu'à cicatrisation complète. Une fois le rite terminé, il revient dans sa famille, sa maison, sa vie, en étant « homme ».

 

J'ai demandé, le rite n'existe plus vraiment pour les femmes. Pas trop de réponses quant à la pratique de l'excision.... Qui n'a absolument rien à voir !! (J'attend que ma tutrice de stage revienne de vacances pour lui demander). Plusieurs fois, j'ai entendu ce discours sur le fait que la circoncision est « bonne », puisqu'elle évite, soi-disant, les infections et propagations de maladies sexuellement transmissibles.....

 

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Naïvement, spontanément, j'admire et respecte ces diversités de culture. Certain-e-s diraient qu'il y a des choses injustes, barbares. J'ai mes propres limites aussi. Mais je ne cherche pas, plus, à avoir d'avis sur tout. J'ouvre grand mes yeux et mes oreilles, pour découvrir des choses que je ne connais pas. Je laisse entrer les différents discours. Parfois je réagis, parfois je reste dans l'écoute. Je m’imprègne d'autres réalités, vérités..... Ca me bouscule aussi ! Mais j'accepte de perdre mes repères. Pour essayer de comprendre, en partie, ce pays, ses gen-te-s, son histoire, ses cultures.... Et parce que, toujours, cette question de la légitimité m'habite....

 

Ici, le respect des cultures prévaut sur les lois nationales. Par exemple, les zoulous ont droit d'avoir plusieurs femmes. C'est le cas du président actuel, Jacob Zuma.

 

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J'ai regardé le film « Cry freedom » hier, qui retrace la vie de Steve Biko. Inconnu pour moi jusqu'ici, c'est une icône nationale pour les révolutionnaires d'ici. Un des principaux fondateur de la « black consciousness » - la conscience noire -, mouvement né dans les années 60 en pleine période d'apartheid. Biko a été torturé et assassiné par le pouvoir blanc à l'âge de 30 et quelques années. S'inspirant des théories venues tout droit des Etats-Unis, et du concept de négritude d'Aimé Césaire et Frantz Fanon, ce mouvement défendait l'idée que seul-e-s les noir-e-s peuvent se libérer par eux et elles-mêmes, de l'oppression blanche. Loin d'être anti-blanc-he-s, ils prônent une égalité des « races », à travers l'émancipation et la conscientisation noire. Le mouvement a mis en place des lieux collectifs non-mixtes d'éducation et d'émancipation, pour rendre aux noir-e-s leur dignité, et leur faire prendre conscience de leur légitimité à lutter pour une égalité....

 

Je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec le féminisme. Et ces espaces-temps non-mixtes tellement nécessaires à l'émancipation et libération des femmes, que certain-e-s jugent, trop facilement, anti-mecs....

 

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NB : Je ne prétend pas relater des vérités scientifiques et/ou historiques. Ce blog me permet d'exprimer, de manière plutôt spontanée, des réflexions en cours, des façons de voir les choses qui me sont propres, à partir de ce que je vis, découvre et ressens ici.

 

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Séjour / Stage à Cape Town
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