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Séjour / Stage à Cape Town
30 juin 2014

Un WE intense en émotions.... et remises en question...

Vendredi dernier, la "shake" (cabane en bois et taule) de 6m2 de Mawethu, un camarade et maintenant un frangin, a crâmé, avec tout dedans, tout le peu qu'il avait..... Il préparait des pochoirs pour un atelier avec des jeunes et s'est endormi, une bougie allumée... Ses vêtements, livres, cd, son portable, ses dessins et graphs, ses poèmes, ses instruments de musique.... Il a tout perdu sauf son portefeuille, qui n'a pas grand chose dedans !! Comme par hasard, la veille, la directrice d'une asso avec qui j'ai bossé me propose sa baraque car elle s'absente pour le WE... Une petite maison a Kalk Bay, dans une ville de blanc-he-s, au pied des montagnes et en bord de mer. Sans hésiter, j'embarque les copains du township.... Je veux "offrir" à Mawethu une pause dans ce moment de merde qu'il traverse.

 

Première soirée tranquille. Le lendemain matin, on réalise que la voiture s'est fait braquer !! Ils ont pris un sac avec les chaussures, un disque dur, des papiers et surtout le passeport d’un autre copain. C’est la merde, Anele est sensé partir en Allemagne pour l'asso ce mardi !!!! Ca fait des mois qu’il attend ca… Il part direct en ville pour voir s'il peut faire un passeport vite zef... Pas moyen ! Il revient, déterminé à retrouver les "gangsters". On arpente les rues, cherchant les magasins de revente, parlant avec les gens de la rue... On a des infos, on piste un certain Jason, un « coloured »... Les relations, une fois de plus, se font par couleurs… On nous explique que toutes les voitures nouvelles qui arrivent dans la ville se « font visiter ». « Tu comprends, bro, on est dans la même merde, c’est le business »… Le fait que les copains soient noirs facilite les négociations.

 

Ca nous prend tout le WE cette histoire, à arpenter les rues, avec des rendez-vous manqués, etc… Mais on finit par récupérer le passeport moyennant la somme de 400 rands (« à peine » 30 euros) pour le mec qui a, soi-disant, trouver le passeport par terre et 100 rands pour celui qui nous a guidé à lui… Anele est déterminé à retrouver Jason pour lui « faire un massage » comme il dit si joliment, mais j'arrive à lui faire accepter qu'on se casse juste, parce que les mecs ont l'adresse de la meuf chez qui on est, et à l'heure actuelle, je croise encore les doigts pour que rien n'arrive !!

 

Bref, pour un WE détente montagne-mer, c'est raté !

 

Apres ces émotions, je décide de suivre les copains pour aller nettoyer ce qui reste de « chez Mawethu ». J'hallucine en découvrant les restes de la baraque, que du bois cramé, des restes de vêtements, et de bouquins… Rien a récupérer !

 

SDC16870

 

 

Commence le grand nettoyage ! Le seul truc drôle de l’histoire, c’est que les seuls trucs qu'on retrouve intacts sont..... des capotes !! Les capotes Africaines sont « fire-proof »… ;)

 

On se pose un peu pour réfléchir au plan… Que faire de tout ça ? Pas de moyens, ni financiers, ni techniques… On décide de creuser un trou, et de faire un feu pour cramer le reste… La nuit commence à tomber. Je devrais plus être ici. Khayelitsha est le township de Cape Town réputé pour sa criminalité... Je réalise qu'il est trop tard pour que je rentre seule en train, et je ne veux pas le laisser dans la merde... Anele propose de venir me chercher plus tard, il doit filer, je reste.

 

On commence à allumer le feu, les copains sont partis, mais d’autres potes débarquent, attirés par l’odeur dégeulasse du caoutchouc et du plastique qui brûle… c’est la seule façon qu’on a trouvé pour réussir a allumer le feu, avec du bois certes déjà calciné mais trempé… Les mecs partent et reviennent avec leurs instruments, commencent a jouer et chanter, des ados dansent… Une discussion avec un mec qui n'en revient pas que je sois la seule a m'activer alors que je suis une meuf, blanche de surcroît ! Moi je lui dis que chacun-e trouve sa place, moi c'est en m'activant, lui c'est en jouant du piano local.... Et qu’au final, on avance tou-te-s ensemble.

 

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Petite parenthèse pour parler du concept (sud-)Africain de l’Ubuntu. « Je suis parce qu’on est », que je considère en opposition a l’adage individualiste Occidental du « Je pense donc je suis ». On est inter-connecté-e-s entre êtres humains, chacun-e unique mais uni-e. en prenant soin les un-e-s des autres, on prend soin de soi-même…

 

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Des mecs commencent a débarquer de tous les côtés en mode vénères, ils ont peur que Mawethu crâme une autre baraque, ils veulent qu'on éteigne le feu… Je panique a peine, mais je suis pas rassurée, ils sont menaçants, lancent de l'eau sur le feu… Se demandent ce que fait une blanche ici… Mawethu s'en prend plein la gueule et ne sait pas comment réagir, mais c'est un survivant ce mec, il a vécu des trucs hallucinants dont il s'est toujours relevé… On négocie de faire un feu pas trop grand, de garder le contrôle… Et d’arrêter de brûler les plastiques qui font cette foutue fumée noire toxique... Ca dure des heures ce nettoyage, on brûle les restes, les livres, et Mawethu tout paisible qui voit partir les restes de sa vie en fumée… et en musique… La connexion humaine est bien là, l’air est glacial mais il fait chaud près du feu, et dans les cœurs… Les heures passent, les gens partent petit à petit, et le copain qui doit venir me chercher ne revient pas... L'Afrique, ou tout peut se passer..... 

 

Pas même stressée ! J'ai découvert Mawethu ce week-end, il est super sage ce mec sous ses airs de grand gamin, il m'a secoué, m'a fait comprendre plein de trucs... Vivre sans peur, tout en étant « street smart »… Mawethu qui relativise, c’est une nouvelle vie qui commence… Ce mec, il est hallucinant, il est tout tranquille, peace and love, avec ses cicatrices et son vécu d’une violence pas croyable… Il relativise tout, même après avoir tout perdu. Comme il dit, il a encore sept vies. Puisqu’il n'est pas mort dans l’incendie, sauvé de peu par les cris de sa sœur, se réveillant entouré de flemmes et de fumée, il ne sais même pas comment il est sorti…. Il me bluffe ce frangin ! Il m’apprend a lâcher prise, laisser les choses se faire, être en paix avec soi même et son environnement même quand c’est la pire des merdes autour !! Cette paix que je recherche depuis mon arrivée ici, mal à l'aise devant ce fosse d'inégalités, ne sachant pas comment et qui être... Je trouve la paix dans un des endroits les plus dangereux d'Afrique du Sud….

 

On se retrouve que tous les deux, à parler, chanter, juste être connecté-e-s, simplement. On arrive finalement a joindre le copain qui peut pas venir, il viendra nous chercher pour aller au taf le lendemain matin. On termine de tout bruler à 3h du mat. Je dors dans le lit de sa soeur avec elle, la maison juste a côté. Une "vraie" maison avec des murs en pierre mais rien dedans, c'est tout nu, tout bétonné, un taudis... Pas d'eau courante, pas de bouffe, la vraie misère et pauvreté... Pas moyen d'aller au toilettes, j'ai à peine faim, remplie des émotions du week-end et de l'esprit de la musique et du feu de la soirée.... On ne peut pas éteindre la lumière pour dormir sinon on coupe l’électricité. Le chauffage d’appoint est une plaque électrique qu’illes laissent allumer toute la nuit. Je touche du doigt ce qu’est la réalité de vie dans les townships ! Sauf que j’y ai vécu une soirée et une nuit...

 

Et voila, je suis la maintenant, a écrire du bureau, retour a une autre réalité.... J'ai pas encore tout digérer, je suis crevée et sous le choc encore je crois, de tout ça....

 

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On m'a rebaptisé hier, on m'a donné mon prénom africain : Khanyisa, celle qui apporte la lumière.... Un nouveau baptême a 27 ans, après celui de mes 17 ans où on m'a appelée Kriska.... Une nouvelle vie qui commence comme répète Mawethu....  J’ai l’impression d’avoir capté plusieurs trucs ces derniers temps, et je commence enfin à VIVRE vraiment… A me (re-)trouver, à me connecter à moi et aux autres… Et le départ qui approche… Encore un. Pas le premier, ni le dernier. J’compte continuer a vivre ce que je peux vivre ici, essayer d’aider pour retaper une maison, p'tèt un peu plus grande, de 9m2… Mais les choses prennent du temps…

 

Je crois que si j’arrivais pas a « vivre » ici jusque la, c’est ce que j’étais emprisonnée dans mon cerveau plus que dans une réalité difficile finalement...  Life is going on… And we're still alive ! Ndikona !!

 

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Mise à jour du 2 juillet : Appel à solidarité internationale ! Si ca vous dit de filer quelques euros pour le matériel de construction de la maison... Ecrivez-moi, je vous enverrai mon RIB. Je m'engage à une totale transparence quant aux fonds récoltés, et matos acheté... On a récupérer jusque là quelques 500 rands, soit à peine 35 euros, ce qui est largement insuffisant. Exemple concret, on a trouvé des panneaux de bois pour le bardage exterieur. 190 rands par panneau, il en faut 6. Sans compter le bardage interieur, les taules pour le toit, etc. Si vous avez des idées aussi pour une isolation super cheap. L'idée est de mettre des bâches, mais ca isole de rien du tout, ni de la chaleur étouffante de l'été, ni du froid humide de l'hiver... Y'a pas de paille ici... On est un peu à court d'idées... et largement à court d'argent...

 

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Mise à jour du 3 Juillet. Galère, une fois de plus, de trouver sa place. Je porte inévitablement ce bagage identitaire, blanc et Européen... C'est plus que lourd, ca m'épuise et me remet en question constamment. Organiser la solidarité collectivement n'est pas une mince affaire. Quand je m'active trop, on me renvoie cette image de la blanche qui vient se donner bonne conscience avant de repartir tranquille chez elle... C'est ultra long et compliqué de déconstruire tous ces rapports de domination. Le passé racial est tellement proche, et encore tellement présent, sur lequel s'ajoute les rapports de classe aujourd'hui... C'est vrai, je pars dans 15 jours ; c'est vrai, je suis impatiente ; c'est vrai, je veux faire bouger les choses pendant que je suis là... Et p'tét il faut juste que je lâche prise...

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Séjour / Stage à Cape Town
  • Encore un blog pour relater, partager cette nouvelle aventure, celle d'un séjour de trois mois et demi en Afrique du Sud, et plus précisément, celle d'un stage à ILRIG - Information Labour Research and Information Group – à Cape Town....
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